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L’éveillé

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Article de Bran du (le Corbeau Noir)
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Depuis fort longtemps il se tenait là le dos contre la verticale du tronc, sous l’arbre à l’immense ramure et à l’ombre accueillante….

Il pouvait sentir derrière lui la respiration même de l’arbre, et son sang, circulant en ses veines devait lui aussi se sentir en correspondance, en affinité de flux avec la sève irriguant branches et feuilles…

Il s’adonnait à la méditation concentrant tout son esprit sur le souffle sortant de ses lèvres, de son nez et chassant régulièrement les tentatives du mental aspirant sans cesse à occuper une place qu’il n’avait plus…

Ce fut un long temps de privations qui le conduisit peu à peu aux limites de la mort… Mais une jeune fille vînt vers lui qui lui tendit de la nourriture et il accepta celle-ci en se rendant compte que les « privations » n’avaient pas opéré chez lui la « révélation » qu’il attendait avec humilité et ferveur…

Il reprit donc de la nourriture et cessa de négliger ce besoin et c’est alors que les ombres et les brumes qui entouraient sa personne et hantaient toutes ses profondeurs se dissipèrent d’un seul coup laissant place à une pluie de douce lumière, à un vent de tendre clarté… Tout devint clair, limpide, transparent comme une eau de source s’écoulant du marbre bleu d’une fontaine…

Cela mit fin à sa souffrance, à toutes les souffrances qui agitaient son corps et ses pensées… Il eu alors la Connaissance, la Mère des Connaissances ; celles dont découle toute compréhension, tout entendement….

Il voyait parfaitement les articulations et les mécanismes d’une pensée à l’oeuvre et les phénomènes, causes, origines ainsi que leurs effets bienfaisants ou destructeurs… Il comprenait de l’intérieur le fonctionnement et les enchaînements de ce qui conduit de la joie à la peur et de la peur à la joie… Il sut que parmi tous les fléaux du genre humain se tenait au premier rang la Souffrance ; une souffrance alimentée au biberon de la peur et de l’ignorance et qui faisait se cailler la moindre parcelle de bonheur…

Un autre jour, regardant passer un groupe de jeunes femmes musiciennes, il entendit l’une d’entre elles dire aux autres : – « Si la corde de ton instrument est trop tendue elle cassera et s’il elle est trop distendue alors ta musique ne sera pas de la musique… »

Il comprit aussitôt que le contenu de ce propos allait devenir un axe majeur de sa pensée : la recherche du plus juste    milieu !…

(Où encore l’art de s’accorder, d’accorder l’instrument de son être afin qu’il sonne le plus juste possible et donc sans parasiter les hautes et basses vibrations de la vie… Ou encore et dans le même sens, dans la même idée, comment instaurer la concorde, la juste mesure en tout rapport et relation ?)

Il déduit de tout cela des lois fondamentales pour mieux connaître l’être humain, l’aider et le soigner en lui exprimant sa compassion :

Reconnaître que la souffrance ou dissonance existe, remonter à la source de cette souffrance, à ses causes, étudier et comprendre celles-ci..

S’ouvre alors le chemin et les voies de la guérison, une fois cette souffrance et son origine bien identifiées…

La dite guérison passant par de bonnes « pratiques »; des pratiques « justes » et parmi ces bonnes pratiques ; celles faisant l’économie du « désir » ; du désir charnel entres autres désirs, mais aussi celles luttant contre toutes formes d’ignorance ; de celles qui suscitent la peur et la crainte, l’angoisse, la servilité et la dépendance… La souffrance pouvait être vaincue, là, ici et maintenant… Quelle révélation !…

Son être frémissait à cette pensée comme les feuilles accrochées à leur branche agitées par le vent espiègle…

Etre libéré de la peur, là était, résidait le véritable bonheur, la sérénité, l’apaisement, la fin des tourments…

Le feu destructeur qui le rongeait depuis si longtemps s’était éteint en lui remplacé par une autre flamme, ou autre braise, toute spirituelle celle là…

Il s’était éveillé à la pure clarté, il buvait des yeux le lait blanc du ciel, sa peau respirait tous les parfums et senteurs de la terre…

Un nuage passa très cotonneux. Il suivit sa course puis le nuage se transforma en pluie… Il pensait ne plus voir le nuage, mais il vit celui-ci dans la pluie qui tombait pour abreuver les lèvres de la terre…

Il comprit qu’il en était de même de la mort, des apparences de la mort ; elle aussi n’était qu’une transformation à venir !… Alors des larmes de joie vinrent se conjoindre aux gouttes tombées de l’arbre…

Il s’était éveillé après une très longue nuit passée à se perdre dans les dédales d’une pensée obscurcie et détournée du chemin de la vraie vie…

Eveillé, comme chaque nid au matin, chaque fleur sous la rosée matinale…

Lui aussi, il voulait maintenant danser avec les feuilles, chanter avec les oiseaux, rire avec les fleurs…

Et c’est cela qu’il fît !….

La Création du Monde vue par le Renard

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Article de Patricia Buigné-Verron
www.mouvement-interieur.org

J’ai rencontré un Renard…

Renard roux / Red fox / Vulpes vulpes

Photo RichardDumoulin.com

Il y a quelque temps de cela, dans la Forêt de Brocéliande, je surpris une conversation entre le Renard et le Petit Prince, à proximité de l’arbre sous lequel je méditais.

Si tu m’apprivoises avait dit le Renard au Petit Prince, je te confierai un secret.
– Alors, je reviendrai chaque jour pour t’apprivoiser, avait répondu le Petit Prince, ce qui sous-entendait qu’il avait envie de connaître le secret.

Je suis, moi aussi, revenue chaque jour et, cachée derrière mon arbre, j’ai tout écouté. Voulez-vous que je vous répète ce que j’ai entendu ?

« Les humains sont un peu bêtes avait dit le Renard, sais-tu qu’ils cherchent le Graal dans la Forêt de Brocéliande ? Ah, s’ils savaient qu’il suffisait de manger un peu de soupe ! »

Et le Renard était parti d’un grand rire…

J’avais alors tressailli, car c’est bien ce que j’étais venue faire  dans cette forêt. Il était donc évident que je me sentais concernée au plus haut point. Mais que voulait dire le Renard avec sa soupe ?

« Et si je créais un monde ?»

Dieu_Michel-Ange

Dieu par Michel-Ange

Le Petit Prince, lui aussi, voulait en savoir plus. Alors, le Renard reprit :

« Je vais te raconter la version officielle. Et je te raconterai, un autre jour, la version celtique où le personnage principal est remplacé par la Grande Mère Kerridwen ou Cerridwen. Un jour – il y a 15 milliards d’années de cela – Dieu, qui s’ennuyait dans le Néant,  fut saisit d’une idée géniale, laquelle le remplissait de jubilation : « Et si je créais un monde ? » s’était-il écrié dans le Vide, tout en souriant dans sa barbe (oui, oui, Dieu a une barbe, j’ai une photo !). Et l’écho lui avait répondu : « si je créais un monde…un monde…un monde… ? »
Il n’en n’avait pas fallu plus pour qu’il se mette à la tâche.

Sans mot dire, le Petit Prince écoutait, fasciné…

Un poil dans la main

« Donc, Dieu arracha l’un des poils de sa barbe et, avec cet unique poil, contenant son ADN, il se dit qu’il pourrait bien faire des boutures… Il paraît que les humains appelle cela des clones, ajouta le Renard.
Mais il lui fallait une éprouvette et il n’en avait pas. Alors, il disposa ses mains en coupe et y plaça son poil de barbe, d’où l’expression un poil dans la main. Mais curieusement, ses mains se mirent à chauffer, à chauffer… Une brume s’en dégagea et, tandis qu’à l’intérieur des mains, le poil s’était consumé, il apparut à la place un liquide incandescent, bouillonnant, incroyablement chaud et rouge comme de la lave. Les mains de Dieu, pourtant, n’en semblaient pas affectées le moins du monde. »

Mains

mains dessinées par Marie-Françoise

La coupe cosmique

« C’est alors qu’il se passa quelque chose d’extraordinaire. Dieu écarta ses mains pour en dégager une coupe admirablement façonnée. Mais ce n’est pas tout ! Il lui donna ensuite une impulsion pour la retourner dans l’autre sens afin qu’elle déverse son contenu dans le Néant. C’est à ce moment là que le temps a commencé à s’écouler… »

graal

Le calice d’Ardagh, trouvé à Ardagh en Irlande au VIIIe siècle et apparenté au Saint Graal

Dieu « planqué » au-delà du temps

montre

Montre Molle, Salvadore Dali

« Car, j’ai oublié de te dire, Petit Prince, avait ajouté le Renard, qu’avant ce moment là, il n’y avait pas de temps mais un espèce de mur infranchissable en deçà duquel certains  scientifiques disent qu’on ne peut accéder, car c’est de la pure information. Ce mur temporel, ils l’appellent : le temps de Planck, du nom de celui qui l’a trouvé. »

Le Petit Prince, qui voulait toujours en savoir plus, demanda :

–          Mais avant le temps de Planck, où était Dieu ?
–          Oh, à mon avis, dit le Renard, il était sûrement planqué quelque part… mais, si tu veux bien, continuons notre histoire…

GraalLes deux coupes

« Donc, avec la coupe retournée, le liquide incandescent s’écoulait dans le Néant… Curieusement, tout en s’écoulant, il se solidifiait et devenait matière, formant un réceptacle de forme similaire mais plus grossier. En fait, la coupe d’en bas n’était autre que l’ombre projetée, devenue matérielle, de la coupe d’en haut et on devinait que toutes deux devaient pouvoir s’emboîter parfaitement. La coupe d’en bas n’était autre que  la moitié visible de l’oeuf cosmique.
Bref, Dieu disposait maintenant d’un chaudron et il était prêt à commencer une drôle de cuisine…  Veux-tu quelques éléments de la recette ? »

Chaudron

Le chaudron de Gundestrup trouvé en 1891 dans une tourbière du Jutland au Danemark. Il s’agit d’un chaudron celtique datant du 2e siècle av. J.-C.

Gravement, le Petit Prince acquiesça…

« Le poivre est l’élément important, reprit le Renard. En effet, un grain de poivre, jeté dans le chaudron, avait provoqué à Dieu un gigantesque éternuement. Les spirituels appellent cela le Souffle Divin et les scientifiques le Big Bang. A la suite de cet événement, des ingrédients apparurent magiquement dans le chaudron et celui-ci, en se remplissant, grandissait… grandissait… Il grandit toujours à l’heure actuelle et les scientifiques, dont les mots savants sont l’apanage, disent que l’Univers est en expansion… »

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Jaune d’Oeuf Soleil, Salvadore Dali

Des grumeaux dans la soupe

–        Mais c’est une soupe magique, s’exclama le Petit Prince ! Je comprends pourquoi j’ai vu écrit MAGGIE sur certains sachets !
« Le chaudron était encore très chaud, reprit le Renard, sans relever cette réflexion incongrue. Quand il commença à refroidir, Dieu vit qu’il y avait des grumeaux dans la soupe. Les scientifiques appellent cela des galaxies. »
–        Et ensuite ? Et ensuite ? dit le Petit Prince qui trouvait que le Renard se perdait un peu dans les détails…
« Ensuite, reprit le Renard tranquillement, Dieu touilla la soupe dans le chaudron cosmique et certains grumeaux éclatèrent, s’agglutinant en sous-ensembles qu’on appelle systèmes solaires. Des noms ont même été donnés à chaque élément de ces sous-ensembles comme, par exemple : Soleil, mercure, Vénus, Mars, Terre… »

Un judicieux assaisonnement

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–        Alors le Graal qu’on recherche dans la Forêt de Brocéliande, c’est quoi finalement ? demanda le Petit Prince qui ne perdait pas le fil de l’histoire.
–        Attend un peu, dit le Renard. Je continue…

« Dieu a goûté la soupe cosmique mais il trouva qu’elle n’était pas assez relevée. Alors, il inventa une nouvelle recette qu’il l’expérimenta sur la planète Terre. Il rajouta quelques ingrédients : une pincée de Terre, un soupçon d’Air, une once d’Eau et mit le tout sur le Feu. Peu à peu, on vit apparaître des yeux dans cette nouvelle soupe. C’étaient de drôles de bestioles qu’on appelle des  bactéries et dont nous sommes tous originaires. Les hommes appelleront cette recette « soupe primitive » »

Une infinité de recettes

–        Sois plus clair ! insista le Petit Prince qui trouvait que la recette de cuisine cosmique finissait par devenir comique à force de se compliquer…
–        Eh bien, Dieu n’a cessé de faire évoluer les recettes avec de multiples variantes. Les yeux dans la soupe ont grandi, se sont recouverts d’écailles et se sont mis à nager, puis ils se sont aventurés en rampant hors du chaudron, certains se sont envolés, d’autres se sont munis de fourrure comme moi, et d’autres sont devenus des drôles de petits bonshommes, comme toi…

La soupe de l’UN

« Bon, c’est pas le tout, dit le Renard au Petit Prince, on se la mange cette soupe ? »

Puis, comme s’il avait toujours su que j’étais là, le Renard vint me chercher à l’ombre de mon arbre pour m’inviter à partager avec eux la soupe de l’UN*…  Je su alors que le Petit Prince l’avait apprivoisé.

* Soupe de l’UN : Rajouter quelques cuillerées de graines de lin fraichement  moulues dans la soupe est d’un très grand bénéfice pour le coeur ! Voir article « les atouts de la petite graine de lin ».

Dialogue du Serpent et de l’Oiseau

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Article de Patricia Buigné-Verron
www.mouvement-interieur.org

Un serpent se dorait au soleil près de l’anfractuosité du rocher où il nichait.
Sur le rocher, un Oiseau lissait ses plumes dorées.

– Oh, dit le Serpent à l’Oiseau, s’il te plait, prête moi l’une de tes plumes pour écrire un mot !
– Que veux-tu écrire, répond l’Oiseau ?
– Un mot qui me fait rêver : « voler » ! Voler au-dessus des nuages, voler par delà les plus hautes montagnes pour voir ce qu’il y a derrière, sentir le souffle du vent sur mes écailles, entendre siffler tous les oiseaux du ciel, sentir s’écouler dans mon gosier les gouttelettes d’eau absorbées en plein vol, brûler au feu du soleil qui a doré tes plumes…
– « Voler », c’est juste un mot, dit l’Oiseau. Ma plume ne te permettra pas de voler !
– Il me suffit de l’imaginer répond le Serpent. Je prendrai ta plume dans ma bouche et écrirai laborieusement mon mot dans la poussière du sol. Je créerai l’image et je sais que, dans un retournement renversant, l’en-dedans deviendra l’en-dehors. « Serpent » sera « penser » et « image », « magie ». Je passerai de l’autre côté du miroir, deviendrai un Serpent à Plumes et je libèrerai l’Oeuf du Monde (1)

– D’accord, dit l’Oiseau. Voici l’une de mes plus belles plumes pour écrire ton mot… En échange, peux-tu me fournir l’une de tes écailles pour creuser la terre ? Mon bec n’est pas assez puissant.
– Pourquoi veux-tu creuser la terre demande le Serpent ?
– Je veux savoir ce que l’ombre recèle,  retrouver les ossements des Anciens et respirer leur Sagesse, connaître le goût des vers des profondeurs. Je veux ressentir le poids de la terre sur mes plumes légères. Je veux percevoir le grondement grouillant de la vie du monde d’en bas. Je veux vibrer au feu intérieur de la terre…
– Comment pourrais-tu avoir une telle expérience avec ma seule écaille, petit oiseau fragile ?
– Il me suffira de l’imaginer, répond l’Oiseau. Je tiendrai ton écaille en mon bec et fournirai l’effort nécessaire pour creuser. Je créerai l’image et, dans un retournement renversant, l’en-dehors deviendra l’en-dedans. Mon « S en Ciel » s’élevant de « oiSeau » se fera serpent. Je visiterai l’intérieur de la terre et ferai les transformations nécessaires pour trouver la pierre cachée (2).  Je passerai de l’autre côté du miroir et deviendrai un Oiseau à Écailles !

 

(1) Allusion au Quetzlcoatl, divinité aztèque formée d’un oiseau (quetzal) et d’un serpent (coatl), symbolisant l’union du Ciel et de la Terre. Dans certaines traditions, l’Oeuf du Monde, symbolisant le Verbe, sort de sa bouche…

(2) Allusion à la célèbre formule des alchimistes qui condense leur doctrine: « Visita Interiorem Terrae Rectificando Invenies Operae Lapidem » (V.I.T.R.I.O.L.), soit, « explore l’intérieur de la terre. En rectifiant, tu découvriras la pierre cachée ».

Clin d’Oeil à Jacques Prévert

Pour faire le portrait d’un oiseau

Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger…
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
C’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucment
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.